
Ce que j’ai appris en naviguant l’un des marchés les plus passionnants—et les plus exigeants—du monde.
Si vous envisagez le Japon comme une étape de votre tournée internationale d’exposition, je comprends l’attrait. C’est une puissance culturelle, un marché réputé pour sa rigueur, son goût, et son amour profond du storytelling. Il occupe aussi une place quasi mythique dans l’esprit de nombreux producteurs internationaux.
Mais soyons clairs :
Ce n’est pas simple. En fait, c’est sacrément difficile.
Signer un accord avec un partenaire japonais—surtout pour une première tournée ou une production étrangère—peut ressembler à une ascension lente d’une montagne. Ce n’est pas un manque d’intérêt. C’est une question de standards, de structure, et de gestion du risque.
À moins que vous n’arriviez avec une IP déjà très connue au Japon, ou un concept qui a déjà attiré des millions de visiteurs à l’international, attendez-vous à un long processus. Et même dans ce cas, le “oui” ne vient pas facilement.
Cela fait des années que nous travaillons sur ce marché. Je ne prétends pas connaître chaque producteur ou promoteur japonais—il y a toujours plus à apprendre. Mais j’ai échoué assez de fois pour savoir ce qui fonctionne… et ce qui ne fonctionne pas.
Pourquoi vous vous intéressez au Japon
Soyons honnêtes : de l’extérieur, le Japon fait rêver.
Des publics exigeants, des consommateurs ultra-connectés, une culture riche d’art immersif, de pop culture et d’esthétique. Et tout cela est vrai.
Mais il existe souvent un écart entre ce que les producteurs étrangers imaginent du Japon et la réalité du terrain.
Certains pensent encore que le Japon fonctionne comme dans les années 80 : gros budgets, décisions rapides, élan commercial fluide. Mais cette époque est révolue. Aujourd’hui, le Japon avance différemment.
C’est un marché basé sur le consensus, encadré par des protocoles, et extrêmement prudent face au risque—surtout pour des productions à billets avec des partenaires internationaux.
Ça ne veut pas dire que c’est impossible. Mais vous devez changer votre approche.
Comme le résume très justement Habo Studio dans son article Cultural Market Dynamics in Entertainment: Japan vs. Western Markets :
“Le marché japonais exige un travail relationnel plus approfondi et des cycles de vente plus longs. La confiance, la réputation et le bon timing comptent bien plus que la vitesse ou le battage médiatique.”
Rien de plus vrai. J’ai vu des concepts brillants rester sur un coin de bureau pendant des mois—parce qu’un décideur n’était pas convaincu, ou que le timing n’était pas aligné avec d’autres campagnes, ou simplement parce que le processus d’approbation interne n’était pas terminé.
Ce n’est pas une question de budget. C’est une question de “Pourquoi” : pourquoi le partenaire japonais devrait-il le faire ? Qu’a-t-il à y gagner ? Est-ce le bon moment ? Est-ce que les risques sont acceptables ?
Alors : pourquoi êtes-vous intéressé par le Japon ?
Est-ce juste une étape entre la Corée et l’Australie sur votre carte ?
Ou est-ce parce que vous voyez un vrai potentiel à long terme—et que vous êtes prêt à apprendre, à vous adapter, et à construire quelque chose de durable ?
Si c’est le second cas, vous êtes dans le bon état d’esprit. Et ce blog est là pour vous aider à aller plus loin.
La clé du succès : la relation et le soutien local
Au Japon, la relation humaine est primordiale.
Trouver un champion local—promoteur, producteur ou investisseur—qui croit vraiment en votre projet est l’étape la plus critique. Sans cela, les portes ne s’ouvrent pas.
Et pour obtenir leur confiance, votre projet doit être financièrement solide (avec un point d’équilibre réaliste, un risque mesuré) ou stratégiquement aligné avec leurs objectifs.
Par exemple, si un diffuseur programme un film lié à votre IP, il pourrait envisager une campagne de communication conjointe ou un événement spécial.
Mais pour décrocher même cette première réunion, vous devez arriver préparé. Voici ce qu’on attend de vous :
Un dossier technique détaillé (technical rider)
Plans au sol et élévations
Liste de contenu
Plan merchandising
Présentation des opportunités de sponsoring
Lignes directrices pour la marque et le marketing
J’ai vu des projets bloqués parce que les producteurs ont sous-estimé la rigueur des partenaires japonais.
Ils ont besoin de toutes ces informations pour construire un P&L réaliste, à présenter à leur direction.
Et comme tout est sous-traité au Japon, votre partenaire local devra transférer ces infos aux fournisseurs pour obtenir des devis fiables.
En d’autres mots : plus vous êtes précis, plus le P&L est juste—et plus votre pouvoir de négociation augmente.
Naviguer le paysage japonais
Coûts plus élevés, structures complexes
Préparez-vous à des coûts 30 à 40 % plus élevés qu’en Occident. Voici pourquoi :
Main d’œuvre :
Pas de syndicats ni de marché freelance structuré. La plupart des techniciens (AV, construction, etc.) passent par plusieurs niveaux de sous-traitance, ce qui augmente les coûts.
Lieux :
Les espaces à Tokyo ou Osaka sont chers—parfois plus que New York. Et à cause des normes antisismiques, les lieux sont souvent dotés de colonnes et autres contraintes structurelles. Les réservations longues (plus de 2 mois) sont rares.
Monnaie :
Avec un yen autour de 150–155 JPY pour 1 USD, les contrats en devises étrangères sont risqués pour les partenaires japonais. Intégrez cette donnée dans vos négos.
Prix des billets plus bas
N’espérez pas appliquer des tarifs occidentaux.
Au Japon, les billets pour des expositions immersives ou IP se vendent généralement entre 20 et 30 USD, contre 40–60 USD ailleurs. Ce n’est pas une question de valeur perçue, c’est culturel. Il faut donc l’intégrer à votre business model.
Joint Ventures de projet
Les grandes expositions passent souvent par des JV dédiées (comités de production incluant promoteurs, sponsors, diffuseurs).
Cela permet de répartir les risques et les tâches… mais ralentit fortement la prise de décision. Attendez-vous à plus de réunions, plus de présentations, et à un processus d’approbation long.
Stratégies pour réussir au Japon
Localisez votre expérience
Même avec des directives de marque strictes, trouvez des moyens de localiser votre projet : une section dédiée au Japon, des produits exclusifs, ou une campagne marketing sur mesure. Cela aide à créer une connexion avec le public et à convaincre vos partenaires.
Préparez-vous avec rigueur
Les documents comme le rider technique, les plannings de montage, les protocoles de sécurité, les plans de salle… ne sont pas optionnels. Il faut aussi souvent fournir :
La liste complète des produits dérivés
Les supports de sponsoring
Les assets graphiques (style guide)
Des modèles de P&L
Le bilan des expositions passées (visiteurs, per cap, etc.)
Plus vous êtes préparé, plus la confiance s’installe vite.
Équilibrez coûts et revenus
Oui, les coûts sont plus élevés, et les billets moins chers. Mais :
le merchandising au Japon est puissant. On a vu des per cap de 3 000 ¥ par visiteur—presque 3 fois plus que la moyenne occidentale. Intégrez-le dans votre modèle financier.
Dernière réflexion : la chance aide… mais ne suffit pas
Vous pouvez tout bien faire… et malgré tout, le deal ne se conclut pas.
C’est comme ça, parfois, au Japon. Mais quand ça fonctionne—c’est profondément gratifiant.